Film hong-kongais de Wong Kar-Wai (1990) Genre: Comédie dramatique

Hong-Kong, 1960. Indolent et charmeur, Yuddy passe son temps à fumer, danser et sauter de bras en bras. Elevé par sa mère adoptive et obsédé par le besoin de découvrir ses origines, il décide de tout plaquer pour partir aux Philippines, à la recherche d'une vérité qui lui a toujours été refusée. Il ignore qu'elle risque de le détruire...
Quelle nostalgie, quel régal, et quel plaisir de voir cette oeuvre, d'un cinéaste remarquable.
Pour son second long métrage, après le très remarqué "As tears Go By" Kar Wai choisit l'adolescence et ses choix caractéristiques, sa nostalgie et ses erreurs. Avec ce thème, il se penche donc pour la première fois de sa filmographie, sur les rapports humains et marque donc de son empreinte, un cinéma focalisé sur les personnages et leurs rapports avec l'histoire, et non l'inverse.
Avec une musique, remarquable, dont l'un de ses thèmes peut s'entendre allègrement dans "2046", Kar-Wai ennivre le spectateur en l'invitant au voyage. Un voyage, ou plutot une quête vers l'inconnu.
Comme dans le cinéma de Jarmusch, on résume difficilement un film de Wai, tant ils sont dénoués de sens finalement.
Ils s'apprécient par leurs simplicités, leurs sens de l'esthétisme, et leurs réalismes du quotidien.
Dans Nos années sauvages, le cinéaste s'emploi à montrer l'évasion de personnages frustrés. Une vie monotone, rythmée ça et là par des sorties en boîte, dans les bars, ou les soirées entre amis.
Pourtant parmi ce quotidien d'un profond ennui, subsistent des caractères, des vies oubliées qui tentent par leurs idéologies, de changer leurs destins.
Yuddy en fait parti. Jeune homme plein d'espoir, il vit sa vie comme il l'entend, collectionnant ironiquement les femmes. Il mélange plaisir et amour, avec une réelle confusion, et n'attend rien des femmes si ce n'est qu'elles l'apprécient pour ce qu'il est et non pour ce qu'il représente.
Cependant, un manque crucial le plonge dans l'amertume et la mélancolie.
Sa mère, son père, ses parents. Il ne les connait pas, et semble souffrir de ce manque.
Sa tante, l'apprécie, mais n'éprouve pas l'amour d'une mère, du coup leur relation en pâtit quelque peu.
Le discours est froid, l'amour est refoulé, les disputes éclatent.
Peut être est-ce pour cela que Yuddy collectionne les femmes comme des trophées, ne sachant pas les détacher d'un amour enfoui pour une mère inconnue.
Lorsqu'il décide de partir, au grand dam de son meilleur ami, pour les phillipines, il pense y trouver le bonheur qu'il attend, en vain, à Hong Kong.
Il y croisera la route d'un marin, ancien policier, et accessoirement, courtisan de l'une de ses exs, ce qu'il ignore évidemment.
Là se trouve la force de Wong Kar-Wai, à savoir dans le non-dit, dans l'isolement, le chassé croisé.
Que ce soit sous la forme de légers plans séquences, ou des plans rapprochés, ils distille ses personnages, derrière des barrières fantômes, les laissant errer dans la ville, qu'il ne montre jamais dans son ensemble. Il étouffe volontairement ses protagonistes, dans cette grande immensité, afin de les entraîner vers le chassé croisé.
En gros, il fait d'Hong Kong, un petit quartier isolé, dans lequel des personnages se croisent, sans se connaitre, mais ayant tous, les uns avec les autres, des liens plus ou moins forts.
Par sa mise en scène, reconnaissable entre milles, il crée l'histoire au travers des ses personnages. Ce sont eux qui se fondent dans le récit, le créant du coup, inéluctablement.
Comme dans "Chungking express", "In the Mood for Love" ou "2046".
Les relations entrainent les fusions, puis les déchirements. En cela, Kar-Wai, devient le chef d'orchestre. Il décide des sentiments, des retournements de situation, et profile son histoire sur un terme plus ou moins long.
De ce voyage, il n'en ressortira pas grand chose. Mise à part cette rencontre avec le marin.
Une amitié naissante, perturbée par la tragédie. La mort prend naissance, tel un nouveau départ, une nouvelle maturité.
Peut être enfin, Yuddy est confronté au monde adulte, avec ses responsabilités, ses choix, ses conséquences.
Une tragi-comédie riche en bons sentiments, en moments drôles, poignants, tristes, mélancoliques ou absurdes.
Un morceau de vie, découpé en fragments, qui incite le spectateur à la réflexion.
Des plans fixes, une photo remarquable, comme pour immortaliser les rencontres, les tensions, ou les moments de pure intensité.
A travers ses choix de mise en scène, son authentisme et son esthétisme, Wong Kar Wai signe l'un de ses plus beaux films. Un cran en dessous de ses deux chefs d'oeuvres que sont "In the Mood for love" ou "2046" mais qui annonce avec force et intelligence, son cinéma futur.
Un cinéma réfléchi, en recul de l'existence, poignant et humanisme, ancré d'une remarquable analyse de l'être, et son indécision.
Un grand film!

Note: 16/20

Nos Années Sauvages

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