Gojoe
Film japonais de Sogo Ishii
Genre: Action
Année: 2000 "Un sabre ensanglanté..."
A Kyoto, au XIIème siècle, quiconque tente de franchir le pont de Gojoe durant la nuit
est systématiquement décapité par des fantômes.
Les autorités ne croient pas à de telles légendes et placent régulièrement des patrouilles aux abords du pont. Mais rien n'y fait. Elles aussi sont décimées par ces mystérieux revenants.
Ignorant les avertissements de son maitre, Kenkei, un ancien guerrier reconverti en moine pacifiste, s'est juré d'apprivoiser les démons de Gojoe...
Introduction:
Petite leçon d'histoire, puisque ce film marque le retour du film de sabre à l'écran. Le film de sabre contemporain, baigné dans la nostalgie des films du genre des années 70, notamment la série des "Baby Cart", mais ici comme le western moderne, par exemple, le cinéaste s'éloigne des clichés types, en proposant un regard davantage contemplatif, et moins orienté action pure et dure, bien que le film soit amputé, ici en France, d'une bonne demi-heure, censée prouver cette nouvelle ascension de la contemplation narrative, par Ishii.
Mais même sans sa demi-heure en plus, le film fascine dès les premiers instants, par sa faculté d'auto-destruction, et son processus d'auto-mutilation, sur le regard du spectateur.
Première image, première giclée de sang...
Violence, assurément, mais dans un but bien plus réaliste que cinématographique, ici le cinéaste ne fait pas l'apologie de la violence au sens propre du terme, mais n'y va pas avec le dos de la cuiller, non plus, mais dans un soucis de réalisme.
Pad d'extravagances injustifiées, parce que la relation entre les personnages est ambigüe dès le début.
On devine par son ambiance et sa glaciation, que le film sera une boucherie comme peuvent l'être les films de ce genre là.
Ishii cependant, s'écarte de ce traditionalisme, en évoquant plus suggestivement l'affrontement de deux clans aux valeurs opposées.
D'un côté et de l'autre, des avis mitigés, des non-dits, puis le désir profond de surpasser l'autre.
L'eternelle remise en question du culte asiatique, avec des interrogations qui restent souvent sans réponses, mais qui permettent une auto-analyse de son propre clan et de ses propres valeurs morales et intérieures.
Sogo Ishii déjoue donc le clichéisme habituel, en offrant un regard plus extérieur à la situation, et plus intérieur, par rapport aux personnages, avec lesquels il tisse des liens atypiques.
Probablement, car elle se dénoue du classicisme, elle permet une sous-jacence évidente à la philosophie.
La contemplation qu'évoque Ishii va au-delà de l'étiquette du film, qui offre un rendu particulièrement somptueux, traversant le cadre de droite à gauche, avec cette même force visuelle.
La caméra du cinéaste balaye l'horizon, elle observe, puis surfe dans l'air avec une légereté improbable.
Entre vitesse et lenteur, le coeur balance.
Métaphysique, parce qu'elle va au delà de son image, plus loin que la palpable, ici, le palpable, c'est ce que l'on voit à l'écran, le symbole film de genre, film de sabre, s'envole rapidement, pour laisser s'entrevoir une vision plus "large" plus profonde.
Ishii, comme dans sa précédente oeuvre "August in the Water" dévoile son gôut pour l'écologie, avec des décors naturels somptueux, mais aussi avec toute la fragilité qu'ils évoquent.
En effet, dans ce balet chorégraphier à merveille, se promènent des actes de violences d'une grande barbarie, faisant contraste à l'image d'une grande beauté.
Ainsi, on s'étonne de voir une nature si belle, entâchée de giclées de sang d'une rare sauvagerie.
Quand je disais tout à l'heure que la violence était suggérée, on le remarque ici par des bruitages, préférés à la traditionelle envie de montrer.
On entend, et l'on à peur de voir.
Le fait justement de ne pas montrer, installe un climat d'opression, le bruit provocant davantage de palpitations que l'image, le cinéaste joue avec nos nerfs, et nos sens, qui restent du coup en constamment en écoute.
Le dernier quart d'heure, est d'une rare beauté, aussi bien dans l'image, que dans la symbolique.
Un trip jubilatoire fascinant, qui plonge le spectateur dans une sorte de coma artificiel.
J'ai rarement ressenti autant d'hypnose que devant cette fin de Gojoe.
On est attiré vers l'écran, on s'y retrouve plongé pour une dernière descente aux enfers, et un ultime combat que le ciel foudroie.
La prestation de Asano, encore inconnu à ce moment là du grand public, y est pour beaucoup.
Une plongée dans la viscéralité, qui surprend par son exaltation.
Un goût prononcé pour le gore, qui se manifeste dans une admirable chorégraphie de la caméra, somptueuse de virevolte.
Un final explosif, pour un film qui l'est tout autant.
Ishii vient de marquer le cinéma de genre de son empreinte, en prouvant qu'avec du vieux, on peut refaire le monde...
Conclusion:
En définitive, un film troublant, par son authentisme exacerbé, mais surtout son évocation plus métaphysique et symbolique, que réaliste.
Un morceau d'histoire du pays, revisité à la sauce Ishii, qui étonnera alors par son atypisme et sa relecture du genre.
Un film de sabre davantage penché vers les personnages, que vers l'action, un peu comme un Full Metal Jacket, plus proche des soldats que de la guerre.
Ishii revisite le mythe du samourai, avec une fabuleuse contemplation, qui laissera des traces...