Eyes Wide Shut
Film américain de Stanley Kubrick (1999) Genre: Drame
Un couple de bourgeois, cédant à la jalousie et à l'obsession sexuelle, entreprend un voyage psychologique à la recherche de son identité. Le mari, au bout de son périple nocturne, revenu de ses désirs, ne trouvera finalement auprès de son épouse qu'un compromis banal mais complice, les yeux ouverts à tout jamais sur un rêve impossible...
Il y'a des films, comme celui-ci, sur lesquels on peut revenir facilement. J'avais deja ecris une critique sur ce film, au tout début de la création de mon blog, mais je ne pense pas lui avoir suffisament consacré de temps, d'autant plus qu'il s'agit de mon film préféré. De Kubrick, d'une part, et du cinéma en général, d'autre part.
Je vais essayer de faire quelque chose de constructif, dévoiler enfin tout mon amour à cette oeuvre majestueuse et magistrale.
Quoi de dérangeant à cela, j'ai beaucoup muri en deux ans, et aujourd'hui je me sens prêt à parler de ce film, avec mon coeur, plus qu'avec autre chose...
Pour commencer, la première chose qui frappe, à l'écran, est la splendide photographie, ainsi que son ambiance, qui dégage une couleur froide, allant du contour des fenêtres aux intérieurs fades et sans harmonie des personnages.
Cette ambiance, est dûe au choix du cinéaste, à son attachement quasi maniaque, à la perfection visuelle.
Ainsi, dans la même lignée, le cadrage est parfait, suscitant l'admiration. La caméra semble se trouver là, derrière le dos des personnages, captant les petits moments de solitude, ou d'opression, de doute et de désillusion.
La caméra, justement, virevolte avec retenue, dans la pudeur et l'obsession que l'on connait chez le cinéaste, elle délivre un regard troublant du comportement des protagonistes de l'histoire.
L'espace semble réduit, jamais la ville est perdue dans une immensité, mais à contrario, paraît étouffée.
Un peu comme dans "In the Mood for Love", de Wong Kar Wai, ou le cinéaste s'emploie à nous montrer un hong kong, submergé par les personnages, au détour d'une rue, d'un mur perdu dans un quartier.
Finalement Kubrick, ne filme pas la ville, pendant l'errance de Bill, il montre au contraire un Ney York, existant juste parce que le personnage, à un moment donné, la traverse.
C'est constamment de la sorte, que Kubrick fabrique, pièce par pièce, son ultime film.
L'espace réduit, ne trouve de la grandeur que dans les fantasmes. Ainsi, Bill, durant la fameuse séquence de l'orgie sexuelle, se ballade, ironiquement, sans doute, (par rapport à sa situation) dans ce délire humaniste.
C'est quasiment le seul moment du film, ou la caméra se promène, en long plan séquence, dans un couloir aussi vaste, en apparence, que la ville.
Il reprend ainsi la récurrence de sa mise en scène, découverte dans les "Sentiers de la gloire". A savoir, un travelling, long et sinueux, lent et dérangeant, qui fera toute la grandeur de son cinéma.
Kubrick, comme un furieux de l'image, un acharné de la perfection, va donc faire sombrer ses personnages, dans un tournage de plus de deux ans. Il capte ainsi, chaque moment de faiblesse, chaque larme d'anxieté, chaque visage marqué par la fatigue et le doute.
Son film, comme un puzzle dépiécé, ne trouvera reconstruction, que dans l'imaginaire d'un spectateur. Car au final, l'enseignement qu'inspire son ultime long métrage ne trouve pas de réponse concrète.
Comme un long fantasme imagé, il se ponctue d'une manière qui semble presque évidente depuis le départ.
L'auto-destruction d'un couple, qui au fil de la linéarité de leur chemin, n'a ni solution de rechange, ni explication sur la longue descente aux enfers qui les touchent.
Le début de ce manichéisme, commence lorsque leurs vies s'égarent, après qu'Alice est avouée à Bill, son rêve adultère.
A cette révélation, Bill pâlit. Pourtant, sa femme ne l'a jamais trompé. Tout n'a éte que virtuel, fantasme. C'est pourtant ce simple fantasme et non une réalité vécue (rentrer dans sa chambre et découvrir sa femme au lit avec un inconnu) qui va fissurer la carapace de Bill, quelque chose d'impalpable mais d'essentiel, l'image faussée et idéalisée qu'il s'est faite de lui-même et de l'autre, ne reposant sur rien.
A l'image de leur enfant, que l'on ne voit quasiment jamais dans le film, le couple semble en parfait désaccord, ou plutôt, se morfondent dans une inexplication de la non-communication qui les touchent.
Cette fragilité de la routine, dénoncée par le cinéaste, traduit à la fois, le manque d'originalité de leur vie amoureuse, la faute certainement à la banalité d'une société (connaissant le pessimisme du cinéaste, cette hypothèse est forte probable), et à la fois, du non sens de leur amour. Une fille aimée? On en vient à douter, peut être n'est elle le fruit que d'une erreur, une erreur qui dans la durée, et pour le bien de l'enfant, constitue le seul remède encore justifiable, de leur union.
Dans Eyes Wide Shut, c'est parce que les yeux sont grands fermés que les démons peuvent faire irruption au point où réel et irréel se confondent, et en cela, l'hommage à Kafka semble presque évident.
Qu'est-ce que l'autre ? Qui est la femme ou l'homme aimé ? Quel est cet être que j'ai choisi et qui m'a choisi, qui m'est donc le plus proche et en même temps le plus étranger ? C'est sans doute cette fascinante question qu'explore Eyes Wide Shut, et ce, sur la durée.
Finalement, loin est le film choquant, dérangeant, ou pornographique, qui a tant entouré sa sortie dans les salles. Bien au contraire il est un film troublant, très encré de réalisme social et psychologique. Un film sur le couple et l'amour qui conduit à la destruction, une exploration du fantasme, admirablement mise en scène, par un maître du septième art, qui ponctue sa filmographie, de la plus belle des manières, un film virtuose, mature, et réflechi. Pour moi, je le répète, il s'agit du plus grand film de l'histoire du cinéma, celui qui mérite la note ultime.
Une récompense pour les cinéphiles, et un adieu du cinéaste à son public, et à ses 49 ans de carrière, et treize films, seulement, d'une force et d'une maitrise, jamais égalée.
Un film postume splendide, qui parachève toute la grandeur du plus grand cinéaste du septième art...
Note: 20/20